[Sébastien Carassou] La Mort, l’Univers et le Reste

Bonjour à tous.

Le but de la science est de faire des prédictions. En examinant le comportement du passé et en le décrivant soigneusement, on peut prédire ce qui va se passer dans le futur. Pour reprendre les mots d’Alan Watts, un philosophe britannique que j’aime beaucoup, la science au final, c’est essentiellement une affaire de prophétie. Et à mon avis il n’existe pas de meilleure illustration du pouvoir prédictif des sciences que le portrait du cosmos que nous dresse l’astrophysique, la science qui étudie l’univers et ses objets. C’est pourquoi je vous invite pendant les 15 prochaines minutes à prendre du recul. Un sacré recul en fait. On va embarquer ensemble dans un voyage aux confins de l’espace et du temps, à la lumière des connaissances actuelles, et qui a pour destination… La fin de l’univers.
Notre voyage commence près de Lyon, dans les montagnes, loin des lumières des villes. C’est une belle nuit d’été sans lune, et ce soir vous vous sentez d’humeur rêveuse. Vous vous allongez sur l’herbe et vous levez les yeux au ciel.

Une bande blanche habillée d’un nuage sombre s’étale au dessus de vous. C’est la Voie Lactée.

Ce que vous voyez là est en fait la tranche d’une gigantesque spirale de gaz, de poussières et d’étoiles, un îlot de matière qu’on appelle… Une galaxie. Notre galaxie. On se trouve à la banlieue de cette mégapole cosmique, qui abrite plus de 200 milliards d’étoiles. Petit à petit la nuit se remplit d’étoiles qui scintillent. Elles sont tellement belles et tellement nombreuses… Vous vous demandez combien vous pouvez en voir. Des millions ? Des milliards ? Non.

Dans la nuit la plus noire et avec les yeux les plus exercés, vous ne pourrez pas en observer plus de 3000. Et elles sont toutes contenues dans ce minuscule cercle. Pour en voir plus, il vous faudra utiliser des jumelles ou un télescope.

La nuit est tellement paisible, les étoiles tellement immuables, que cette vue vous laisse une douce et rassurante impression d’éternité. Mais les dernières décennies d’accumulation de connaissances sur l’univers nous amènent inévitablement à une réalisation terrible mais très profonde : RIEN n’est éternel. TOUT est éphémère.

Prenez les étoiles. Chaque point lumineux est un Soleil comme le notre. Une bulle de gaz d’hydrogène et d’hélium, qui doit son éclat à l’énergie libérée par la fusion nucléaire des atomes qui sont comprimés dans son coeur. Les atomes d’hydrogène se lient entre eux pour former des atomes d’hélium. Les atomes d’hélium se lient entre eux pour former des atomes de carbone. Et ainsi de suite, ce qui va créer petit à petit des éléments de plus en plus lourds, du fer que vous avez dans votre sang à l’oxygène que vous respirez. Les réactions de fusion produisent une quantité phénoménale d’énergie.

Cette énergie va permettre à l’étoile de garder sa structure, dans un combat permanent entre sa gravité, qui cherche à la faire s’effondrer sous son propre poids, et les couches de gaz qui font pression pour que ça n’arrive pas. Mais ce combat ne peut pas durer éternellement. Quand l’étoile aura épuisé son carburant nucléaire, sa gravité finira inévitablement par reprendre le dessus. Son destin dépendra alors de sa masse. Plus une étoile sera lourde, et plus sa vie sera brève.

Les plus lourdes ne vivront que quelques centaines de millions d’années tout au plus. Mais leur mort sera d’autant plus spectaculaire. Elles termineront leur vie dans une explosion cataclysmique, plus brillante que 100 milliards de Soleils, qu’on appelle une supernova.

Cette explosion ne va laisser de l’étoile que son cadavre, un coeur extrêmement dense d’une vingtaine de kilomètres de diamètre, constitué entièrement de neutrons et en rotation très rapide qu’on appelle une étoile à neutron.

Pour les étoiles encore plus massives, elles finiront par s’effondrer sur elles-mêmes jusqu’à ce que l’espace autour d’elles devienne tellement courbé qu’il ne restera qu’un trou. Un trou qui courbe l’espace et qui déforme le temps. Un trou dans lequel la gravité est si forte que la lumière elle-même ne peut pas s’en échapper. Un trou noir quoi.

Et notre Soleil dans tout ça ? Et bien notre Soleil, plus il fusionne de l’hydrogène, plus il accumule de l’hélium dans son coeur, un peu comme un déchet. Sauf que l’hélium est plus lourd que l’hydrogène, du coup le coeur de l’étoile devient de plus en plus comprimé.

Et un gaz comprimé, ben ça chauffe. Notre Soleil est donc condamné à devenir de plus en plus chaud et donc de plus en plus brillant au fil du temps ! Il est aujourd’hui à la moitié de sa vie, après 4.5 milliards d’années de bons et loyaux services, et jusqu’à présent tout va bien pour nous.

Mais on fera peut être moins les malins dans 1 milliard d’années ! Parce qu’à cette époque, le Soleil aura augmenté sa luminosité de 10 % ! Ça paraît peu comme ça mais dites vous bien que c’est suffisant pour que l’atmosphère de la Terre soit trop chaude pour retenir la vapeur d’eau à sa surface. Ah oui ça calme. Et ça signera certainement la fin de la vie sur Terre si nos descendants n’ont pas décidé de coloniser d’autres planètes d’ici là. Et ça va pas en s’arrangeant.

Dans 5 milliards d’années, les dernières réserves de carburant disponibles vont donner un coup de boost à l’étoile, qui va alors se mettre à gonfler, à se dilater jusqu’à atteindre plus de 200 fois sa taille actuelle, et plus de 2000 fois sa luminosité. Notre étoile va se transformer en ce qu’on appelle une géante rouge. Et c’est ce monstre brûlant qui va sceller le destin de notre planète.

Le Dimanche 7 février de l’an 7.5 milliards et des poussières après JC sera le dernier Dimanche de l’Histoire. C’est le jour où la Terre sera dévorée par le Soleil rouge. Ce sera littéralement la fin du monde. Mais au final, la Terre qui disparaîtra ce jour là n’aura rien à voir avec notre planète bleue d’aujourd’hui. Elle ne sera plus qu’un caillou vide et calciné depuis bien longtemps. A terme, c’est le système solaire tout entier qui sera rendu inhabitable, parce que notre étoile sera trop chaude pour que l’eau à l’état liquide puisse perdurer.

Enfin, après quelques dernières convulsions, le Soleil va finir par éjecter ses couches de gaz externes, de manière grandiose, mais pas aussi violente qu’une supernova. Un phénomène qu’on appelle une nébuleuse planétaire.

Elle ne va laisser derrière elle que son coeur, une boule de la taille de la Terre, constituée exclusivement de carbone et d’oxygène qu’on appelle une naine blanche.

Pour survivre à la mort du Soleil, nos descendants devront s’abriter sous la chaleur d’une autre étoile, plus clémente, plus pérenne. Leur salut sera certainement dans les naines rouges, des étoiles de masse bien plus faibles que notre Soleil, mais dont la durée de vie atteint des milliers de milliards d’années.

Bon, ça ne devrait pas être très dur à trouver, puisque les naines rouges sont de loin les étoiles les plus nombreuses de l’univers. Elles constituent à elles seules plus de 80% des étoiles de notre Galaxie. Souhaitons donc à nos arrières arrières arrières petits enfants longue vie et prospérité pour les milliards d’années à venir.

Mais revenons à Lyon. Ça fait déjà un moment que vous êtes sur l’herbe. Avec le temps, vos yeux ont fini par s’habituer à l’obscurité. Soudain, au coin de l’oeil, un objet se distingue des autres. Une petite tache floue, à peine visible à l’oeil nu. Ce n’est pas une étoile. On l’appelle Andromède, du nom de la princesse éthiopienne de la mythologie grecque, et c’est l’objet le plus lointain que vous pouvez observer à l’oeil nu. Elle ne fait même pas partie de notre Voie Lactée. C’est une autre galaxie, un autre îlot de matière qui contient à lui seul près de 1000 milliards d’étoiles.

Elle est si loin que sa lumière nous parvient à peine, mais si on pouvait la voir dans toute son étendue, elle serait 6 fois plus grande que la Lune dans le ciel nocturne !

Sous l’oeil du télescope spatial Hubble, cette petite tâche floue révèle toute sa splendeur. Et si cette image vous semble familière, c’est qu’elle a été utilisée comme fond d’écran par défaut des ordinateurs Apple. Comme ça vous savez.

Sachez aussi qu’Andromède, attirée par la gravité de notre Voie Lactée (et inversement) fonce droit sur nous à plus de 400 000 km/h ! C’est aujourd’hui une certitude, la collision est inévitable et devrait se produire dans environ… 4 milliards d’années. J’en vois déjà qui paniquent en imaginant un cataclysme sans nom. Mais en fait les deux galaxies sont tellement grandes et diffuses que la probabilité de collision entre les étoiles est ridiculement faible. Donc pas de panique. Elles se traverseront comme des nuages, dans une danse qui durera un bon milliard d’années.

Le résultat de cette grande valse cosmique, c’est Milkomède. Une galaxie résultant de la fusion de nos deux îlots, une énorme ellipse diffuse de gaz et d’étoiles aux mouvements désordonnés. C’est le prix à payer de cette collision : chaque galaxie va devoir dire adieu à sa magnifique structure en spirale. Ce genre d’événements est d’ailleurs assez commun dans l’univers, et on pense qu’il explique l’origine d’une bonne partie des galaxies en forme d’ellipse qu’on observe. Ce que je trouve incroyable, c’est que cette fusion se déroulera pendant la vie du Soleil. Des simulations informatiques ont montré qu’il sera probablement gentiment éjecté dans la bordure externe de cette nouvelle galaxie, et entrera dans sa phase de géante rouge lorsque les galaxies seront liées. Si le système solaire est toujours habité d’ici là, les résidents devraient donc avoir une belle vue sur le spectacle extraordinaire qui s’offrira à eux…

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Parce qu’Andromède et la Voie Lactée ne sont pas les seules galaxies qui peuplent notre univers. Sur cette image d’une minuscule portion du ciel prise par le télescope spatial Hubble, chaque point est une galaxie. On estime qu’il y en aurait plus de 100 milliards en tout dans le cosmos. 100 milliards de galaxies, de toutes les tailles et de toutes les formes, chacune contenant des centaines de milliards d’étoiles, et à chaque étoile son cortège de planètes. Ça a de quoi donner le vertige.

Et ces 100 milliards de galaxies s’éloignent les unes des autres au fil du temps, comme des raisins à l’intérieur d’un cake au four. Elles sont emportées par le tissu de l’espace et du temps qui n’arrête pas de s’étendre depuis le Big Bang, l’explosion initiale il y a 13.7 milliards d’années. Sauf que voilà. Depuis environ 5 milliards d’années, l’expansion de l’univers s’accélère. Les galaxies s’éloignent de plus en plus vite ! Et personne ne sait pourquoi. Faute de trouver le coupable de cette accélération, on l’a appelé énergie sombre. Pour expliquer la nature de cette énergie sombre, on invoque d’un côté un mystérieux fluide invisible qui repousserait les galaxies entre elles, de l’autre une caractéristique encore inconnue de l’espace-temps, de l’autre une propriété du vide lui même… La vérité, c’est qu’on n’en sait encore rien.

A ce jour, l’énigme de l’énergie sombre reste l’un des mystères les plus intrigants de la science moderne. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il représente aujourd’hui plus des 2 tiers du contenu total de l’univers. Le cosmos est dominé par le Côté Obscur… Mais ce n’est pas tout.

Depuis le début de l’histoire de l’univers la matière s’est toujours arrangée en assemblages et en motifs toujours plus complexes quand les conditions étaient favorables. En atomes. En molécules. En créatures. En consciences. En machines et en oeuvres d’arts. Mais la complexité a un prix. Elle réclame de l’énergie pour perdurer.

Sans énergie, nos civilisations s’effondrent, nos plantes meurent, la vie s’arrête. La mauvaise nouvelle, c’est que l’énergie utilisable de l’univers est condamnée à diminuer. La vie dans l’univers est donc condamnée à s’éteindre. C’est terrible comme conclusion. Voyons cela en détail.

L’année 100 mille milliards après JC signera la fin du règne des étoiles. A partir de ce moment, toutes les étoiles sont mortes. Les galaxies, disparues. L’univers est alors dominé par les naines blanches, les étoiles à neutrons et les trous noirs.

Dans 10 puissance 40 ans (10 puissance 40 c’est un 1 suivi de 40 zéros), le ciel sera complètement noir. C’est le début de l’ère des trous noirs, qui seront alors les seules sources d’énergie qui resteront dans l’univers. Mais rien n’est éternel, même les trous noirs meurent. Plus précisément, ils s’évaporent. Ils rayonnent leur masse sous la forme de particules subatomiques à cause d’effets quantiques bizarres, sur des échelles de temps ridiculement longues à échelle humaine.

Dans 10 puissance 100 ans, le dernier trou noir du cosmos se sera éteint. A ce moment, l’univers ne sera plus qu’un bain de particules élémentaires tellement dilué par l’expansion qu’elles se croiseront à peine. Un univers vide, sombre et froid pour l’éternité. Et tous ces moments seront perdus dans le temps comme des larmes sous la pluie. Bonne journée. Mais avant de vous mettre en PLS et d’entamer une dépression, rappelons-nous des mots de ce grand philosophe qu’est Woody Allen. C’est long l’éternité. Surtout vers la fin. Il reste une lueur d’espoir.

Donnez à l’univers un temps infini et tout ce qui pourra arriver arrivera. Parce que le vide n’est pas le néant. La vide a une énergie, et cette énergie fluctue, un peu comme des remous sur une mer calme. Est ce qu’un nouvel univers pourrait jaillir d’une fluctuation du vide dans un futur infiniment lointain ? Mieux. Et est-ce que c’est comme ça que notre univers est apparu il y a 13,7 milliards d’années ? Des questions qui sont sans réponses claires pour le moment, on entre ici dans le domaine des spéculations et des extrapolations de théories, mais la possibilité reste ouverte.

Et c’est ici que s’achève notre voyage vers le futur. On est allé loin. On a atteint les frontières de nos connaissances. Frontières qui sont repoussées chaque jour, grâce au travail des chercheurs du monde entier qui passent leur vie à compléter l’histoire de l’univers. Notre histoire. Une histoire qui sera certainement révisée au fil des décennies et des siècles, mais qui s’approchera toujours un peu plus de la Vérité. On vit vraiment une période extraordinaire pour l’astronomie, un véritable âge d’or, et il serait peut être bien qu’on y accorde plus d’attention. Il faut bien se rendre compte que l’histoire que je vous ai racontée est intégralement basée sur des connaissances accumulées il y a moins de 100 ans. Imaginez ce que les 100 prochaines années nous réservent. Mais à mon sens, le plus grand cadeau que peut nous offrir l’astronomie, c’est l’humilité. L’humilité face à un univers immense et magnifique au delà de tout ce qu’on peut imaginer, mais qui est aussi dans sa grande majorité hostile à notre existence. L’humilité, oui, mais qui s’accompagne d’un pouvoir extraordinaire. Celui de penser en termes d’années lumière et de milliards d’années, de tenir l’infini dans le creux de sa main et l’éternité dans une heure comme disait le poète William Blake, alors même que nos vie dépassent rarement le siècle. Et ce pouvoir il est précieux à une époque où notre survie à court terme va dépendre intimement de notre vision à long terme.

Merci de votre attention.